« Le récent arrêt de l’émission d’iTélé, dont Éric Zemmour était un débatteur rémunéré depuis une décennie, a été provoqué par l’interview qu’il a accordée au Corriere della Sera sur son livre. Ce choix éditorial de la chaîne d’information (plutôt de désinformation) ne saurait évidemment être qualifié de censure puisque, loin d’être privé de parole, l’intéressé continuera de cumuler professionnellement chroniques bi-hebdomadaires sur RTL, émission hebdomadaire sur Paris Première, tribune ouverte dans Le Figaro et son magazine, invitations dans d’autres médias (à France Culture bientôt), sans compter ses ouvrages en librairie ».
Donc il ne s’agit que d’un début, camarade emboucheur de cerveaux disponibles, continuons le combat des pitres.
« Nous ne sommes pas ici en présence d’une opinion qu’il s’agirait de discuter ou de réfuter. Mais d’une idéologie meurtrière dont les ressorts sont ceux-là même qui, par la construction fantasmée d’une question juive, ont, hier, entrainé l’Europe dans l’abîme du crime contre l’humanité. »
Il n’y a bien sûr aucun rapport entre la question juive traitée en problème dans l’Europe des Lumières et cette idée absurde énoncée par Zemmour selon laquelle les français vaguement purs seraient absolument étanches aux musulmans, eux-mêmes relativement purs, les deux puretés conduisant à la guerre raciale, façon Yougoslavie en liquéfaction. Si Plenel avait délaissé son bagage de la IVème Internationale dans les caves de la logomachie, il aurait découvert que les massacres de masse ont toujours lieu lorsque s’affirment, à la fois, un vide du pouvoir souverain et un affrontement entre forces politico-militaires sur un territoire précis, généralement considéré comme vide, politiquement parlant, donc disponible pour la colonisation.
« Popularisé par Éric Zemmour, le raisonnement qui conduit à la nécessité vitale d’une expulsion des musulmans a pour point de départ l’affirmation que la France est victime d’un « grand remplacement », autrement dit d’un changement de peuple insidieux et silencieux, lequel appellerait en réponse, par réflexe de survie, le départ des supposés envahisseurs, une sorte de grand retour ( ?!) des Français issus de l’immigration venue des anciennes colonies françaises. »
On notera le lapsus à propos du « retour ». Si Plenel n’était pas dans la position de celui qui expose ses bons sentiments il n’aurait jamais écrit ce mot qui renvoie les français en question à leurs origines comme si l’origine n’était pas un pur fantasme. Quant à Eric Zemmour, il ne popularise rien. L’idée de couler les navires d’immigrants expulsés en pleine Méditerranée est un pet de l’esprit qui ne date pas du suicide français. Enfin le grand remplacement de Renaud Camus est une allégorie hallucinatoire appariée chez l’écrivain gersois à celle de décivilisation. Ce qu’il constate c’est tout simplement la fin de sa civilisation française disons l’idéal qui le tient en compagnon de route du frontisme.
« Depuis, Renaud Camus a mis en sourdine son obsession juive pour mieux libérer ses obsessions antimusulmanes où la question religieuse est l’alibi d’une stigmatisation générale des Français issus des immigrations maghrébines, africaines, méditerranéennes, antillaises, etc… Dès 2005, sur le site de son « Parti de l’In-nocence », il le fait comprendre en s’alarmant de « la deuxième carrière d’Adolf Hitler », cette « reductio ad Hitlerum » qu’il doit affronter et dont, avec une fausse ingénuité, il montre lui-même qu’elle voudrait l’empêcher de penser comme Hitler, c’est-à-dire en termes de « distinctions ethniques », de « dimensions héréditaires des civilisations », d’« appartenances natives », d’« origines », de « races »
Outre qu’une obsession n’opère pas en sourdine mais selon une compulsion de répétition, on ne voit pas bien en quoi Renaud Camus stigmatise racialement des individus dans ses écrits. Il écrit en maurrassien, il se veut donc empirique mais pense en esthète. Son racisme a donc peu de probabilité de se propager selon un mode épidémiologique.
« La France n’est pas une terre d’islam », insiste-t-il, souhaitant en conséquence une politique qui fasse disparaître les musulmans de notre paysage »
De la première proposition qui relève du truisme à la seconde, il y a solution de continuité. A moins qu’on en déduise qu’à la lueur du bréviaire plenelien toute personne qui asserte la première proposition adhère à « une idéologie meurtrière dont les ressorts sont ceux-là même qui, par la construction fantasmée d’une question juive, ont, hier, entrainé l’Europe dans l’abîme du crime contre l’humanité »
« Car tous ces mots sont potentiellement des actes, et la violence symbolique des premiers est un appel à la violence concrète des seconds. Le « grand remplacement » de Camus, que popularisent aussi bien Zemmour par l’essai que Houellebecq par le roman, est ainsi devenu le mantra du Bloc identitaire, cette formation radicale de l’extrême droite dont nombre de cadres sont aussi présents au Front national, notamment dans ses municipalités. »
Le délire plenelien monte en puissance. Les mots sont chez lui des actes, leur force serait perlocutoire à tous les coups, entrainant des frénésies de meurtres chaque jour. Il en déduit qu’un écrivain gersois, un chroniqueur tout-terrain, un ancien exilé fiscal et un groupuscule en gilets jaunes forment une autorité centrale, une sorte de duplication du hutu power rwandais, le 6 avril 1994
« Menée contre les droits de l’homme, cette résistance est évidemment la négation de la Résistance et de la France Libre – lesquelles accueillirent nombre de combattants étrangers et coloniaux qu’aujourd’hui, Camus et Zemmour expulseraient tout comme leurs descendants. »
Camus est persuadé en maurrassien que la francité est une affaire de lignage, Zemmour que les musulmans sont un Etat de guerre potentielle dans l’Etat républicain déliquescent, leurs analyses ne sont donc pas identiques. Quant à la Résistance, elle n’est pas un concept mais un mythe, de plus un mythe en déshérence. Comme l’écrit l’historien Pieter Lagrou, « L’histoire n’est plus un discours critique ou subversif, mais une panacée pour les maux incurables de nos sociétés contemporaines. Des institutions désarmées face à la désaffectation démocratique, la xénophobie et la violence, ou tout simplement peu enclines à produire une réelle analyse du problème, se réfugient dans l’injonction mémorielle. Une nouvelle instrumentalisation de l’histoire est à l’œuvre. Plus les horreurs du passé seront passées en revue, plus nos contemporains adhéreront, par effroi, au modèle actuel de société. Pour dire les choses autrement : le recours à l’histoire est comme une liturgie célébrant la supériorité du présent sur le passé. D’un côté figurent démocratie et droits de l’Homme, de l’autre, autoritarisme, fascisme, crimes de masse, génocide, Holocauste, racisme, esclavage, croisades et chasses aux sorcières. (…) La culture politique de repentance et d’excuses publiques pour les épisodes criminels du passé renforce cette mise à distance »
Dès lors le révolutionnaire Plenel, en appelle déjà à voter antifasciste ou moraline, concrètement, Alain Juppé car toute cette indignation ne finira que sur l’autel des urnes.
« En 2013, un événement en a apporté le témoignage. Le 22 mai de cette année-là, devant l’autel de Notre-Dame de Paris, se suicidait avec une arme à feu Dominique Venner, figure de cette Nouvelle Droite, issue de l’extrême droite à la fois la plus radicale et la plus intellectuelle des années 1960, qui opta ensuite pour une stratégie gramscienne de conquête progressive d’une hégémonie culturelle et idéologique. Or, dans une posture esthétique de « samouraï de l’Occident », l’athée Dominique Venner entendait par son sacrifice lancer un appel à la mobilisation contre… le « grand remplacement »… l’hommage sans doute le plus fidèle, car le plus en communion de pensée avec Venner, est celui d’Alain de Benoist, principal théoricien de cette nouvelle droite révolutionnaire, habitée par la hantise du métissage et la phobie du multiculturalisme, déterminée à remplacer l’éthique en politique par une esthétique de l’élite. Lequel Alain de Benoist sort de plus en plus fréquemment de son apparente tour d’ivoire intellectuelle pour commenter cette victoire de la stratégie gramscienne d’hégémonie idéologique dont il fut le premier promoteur à droite. En 2010, il se contentait de saluer « l’anticonformiste Zemmour ». Fin 2014, il le crédite de ne pas parler « au nom de la droite mais du peuple ». Mieux encore, interrogé sur la « remigration », cette expulsion qu’appelle le « grand remplacement », et sur le refus de Marine Le Pen d’employer ce mot, il confie « n’en penser rien, car j’attends qu’on m’explique en quoi cela pourrait consister. Habile et politique, sa réponse discute la faisabilité, pas l’éventualité : « J’ai lu avec attention toutes les mesures proposées par les tenants de la “remigration”. Ce sont des mesures qui, si elles étaient appliquées, auraient certainement pour effet de diminuer les flux migratoires, de couper certaines pompes aspirantes, de décourager d’éventuels candidats à l’immigration. Ce qui est déjà beaucoup. Je n’en ai pas vu une seule, en revanche, qui soit de nature à faire repartir vers un improbable “chez eux” – avec, on le suppose, leurs parents “de souche” – des millions de Français d’origine étrangère installés ici depuis parfois des générations et qui n’ont nullement l’intention d’en bouger. Cela dit, tout le monde n’est pas forcé d’être exigeant sur le sens des mots. Et il n’est pas interdit non plus de rêver… » »
Il suffit de lire Alain de Benoist, même cité par Plenel pour constater qu’il ne croit pas à l’utopie (que Plenel conçoit comme une dystopie) d’une remigration. Il n’en attend qu’une chose, d’énièmes mesures législatives destinées à dissuader « d’éventuels candidats à l’immigration ». Quant à Zemmour, il le crédite de manier le concept politique quelque peu périmé de peuple. On apprend donc qu’Alain de Benoist est de droite à ceci près qu’il n’est pas libéral. Néanmoins, il est de la dernière bassesse de cracher sur un homme qui se donne la mort, un homme mort en athée véritable, comme devait l’être Léon Bronstein si on suit ses écrits. Quant à la hantise (du métissage) et à la phobie (du multiculturalisme), il induirait qu’Eléments fasse toutes ses couvertures sur le premier thème, ce qui n’est pas le cas. En ce qui concerne la phobie, phénomène caractérisé par une réaction d’angoisse ou une répulsion ressentie, on peut se demander si Alain de Benoist est bien le seul à la vivre face à cette bouillie informe que certains nomment le multiculti.
« Tout n’est pas possible, et tout n’est donc pas dicible dans l’espace public comme s’il s’agissait d’une opinion en valant une autre – et notamment pas que les Noirs sont inférieurs aux Blancs, que l’Islam est inférieur à la chrétienté, que les musulmans ne sont pas européens, que les Juifs dominent les médias, que l’expulsion des Français d’origine étrangère est une solution, que la stigmatisation d’une religion est légitime, que la discrimination à l’embauche l’est tout autant, tout comme le contrôle au faciès, etc. »
On notera que chez le brave Plenel tout se vaut mais plus encore on appréciera cette curieuse conception policière de l’opinion légitime/licite selon laquelle il est inutile de discuter certaines propositions et qu’il est donc nécessaire d’exercer une certaine tutelle sur les masses, toujours quelque peu perverties. Preuve que Plenel n’a pas renoncé à sa conception gnostique-léniniste de l’avant-garde.
« Lors d’une rencontre provoquée par mon livre Pour les musulmans, avec l’association Mamans toutes égales, l’une des intervenantes suggéra que le pire, « ce n’étaient pas les bruits de bottes, mais le silence des pantoufles ». Notre silence, votre silence. Si d’aventure, nous ne réussissons pas collectivement à empêcher la catastrophe qu’appellent de leurs vœux Camus, Zemmour et Houellebecq, nous nous souviendrons avec honte de cette alarme. »
Naufragés